Deux « guetteurs » protègent des dealers dansune cité des quartiers Nord.
Les vols à l’arraché se multiplient, le trafic de drogue gangrène les cités, les petits caïds font le coup de feu… Rarement a régné un tel climat d’insécurité. Au grand dam d’une population qui, faute de se sentir protégée, cherche parfois des boucs émissaires.
Toutes les Marseillaises coquettes et suffisamment fortunées le regrettent: plus question d’arborer en ville les colliers en or qui font briller leurs décolletés. Ces bijoux doivent rester cachés au fond des tiroirs les plus secrets car, assurent-elles, les rues grouillent de « minots » prêts à arracher ces parures à la moindre occasion. Et si les voleurs à l’arraché ne sectionnent pas encore les doigts à coups de couteau pour s’emparer des bagues, c’est pour bientôt, pronostiquent même les plus pessimistes.
Galéjades mises à part, les inquiétudes des Marseillaises sont parfaitement fondées. « Avec la hausse du prix de l’or, ces vols de colliers deviennent particulièrement rentables », souligne un policier. Les petits caïds recrutent des gamins des cités pour accumuler les parures avant de les expédier, tout simplement, par la Poste, à l’une de ces entreprises de rachat d’or qui proposent, à grand renfort de publicité télévisée, d’échanger la matière précieuse contre du cash. Et c’est le facteur qui livre l’argent ainsi récolté; directement à domicile…
La combine a fait des émules. Et les équipes d' »arracheurs d’or » se multiplieraient. La crainte qu’ils inspirent participe du climat malsain régnant à Marseille, où chacun semble avoir une histoire d’agression à raconter. Il s’en produit en moyenne 26 par jour. Quant aux nouveaux venus, ils ne tardent pas à être mis au parfum, comme ce couple de passage sur la Canebière: « Faute de taxi, nous avions pris le risque de nous déplacer en ville avec nos bagages. Très vite, des policiers se sont approchés et nous ont dit qu’on ne devait pas se balader comme ça, que c’était dangereux… »
4 policiers et 2 adjoints pour 43 000 habitants
Marseille a peur et le fait savoir. Pour s’en convaincre, il suffit d’assister à une réunion des comités d’intérêt de quartier (CIQ). Ce soir-là, Patrick Mennucci, maire (PS) du 1er secteur, qui a fait de la question de l’insécurité son cheval de bataille, a rendez-vous avec une dizaine d’habitants dans un gymnase de la rue des Lices, au coeur du VIIe arrondissement de la ville. La discussion tourne autour de la collecte des ordures, de l’enquête publique sur le Vieux-Port et, bien sûr, de la violence. A la pause, Annie raconte les avanies de ses voisins, délestés dans la rue de tous leurs biens par des voyous les menaçant à l’aide d’un couteau à bois. Les malfrats avaient de la suite dans les idées. « A peine rentrés chez eux, mes voisins ont retrouvé leurs agresseurs occupés à piller leur appartement dont ils venaient de voler les clefs! » raconte-t-elle, encore sous le choc.
Dans son bureau dominant les bâtiments ultramodernes du complexe Euroméditerranée, Lisette Carducci, maire (PS) des IIe et IIIe arrondissements, fait ses comptes: « Je n’ai, en moyenne, que quatre policiers et deux adjoints de sécurité (ADS) pour veiller sur les 43 000 habitants du IIIe arrondissement », déplore-t-elle. Un quartier, par ailleurs, particulièrement pauvre puisqu’on y compte 5000 titulaires du RSA. « Les jeunes délinquants occupent le terrain et les habitants ont la sensation d’être abandonnés à leur sort. » D’autant qu’au fil des mois les petits voyous prennent de l’assurance. Les déboires de ce commerçant en primeurs du boulevard National, tout proche, en témoignent. « Au début, des jeunes sont venus lui voler des fruits et puis ils lui ont demandé de l’argent, et, comme il refusait de payer, ils ont crevé les quatre pneus de sa voiture. Pour finir, ils ont mis le feu à son magasin », raconte l’élue, révoltée.
Les promesses faites par Brice Hortefeux, puis par Claude Guéant, de renforcer les effectifs pourront-elles inverser la tendance? Alphonse Giovannini, représentant du syndicat Unité-Police, en doute. « On bouche les trous, mais il manque toujours 300 policiers », clame-t-il. « On ne compte que 15 enquêteurs pour combattre le trafic des stups dans le département des Bouches-du-Rhône », déplore le syndicaliste. Difficile, par conséquent, de lutter contre l’économie souterraine. Le trafic de shit serait présent, à Marseille, dans près de la moitié des cités. Il y fait vivre des familles entières; depuis les gamins déscolarisés transformés en guetteurs jusqu’aux retraités jouant les « nourrices » et qui cachent le cannabis dans leurs appartements.
Ce florissant commerce de la drogue engendre une violence que la ville a rarement connue dans son histoire, pourtant peu avare en coups de feu. Les règlements de comptes ont, en un an, coûté la vie à 15 personnes; des jeunes pour la plupart. La quête de l’argent facile, motive ce mode ultraviolent d’arbitrage des « différends ». Souvent, les gangs rivaux utilisent une arme de guerre pour « arroser », un peu au hasard, en direction de l’ennemi du moment, au risque de toucher des passants. « Les grands voyous alimentent encore les petits en drogue mais ils ont abandonné le contrôle de la rue aux caïds des cités« , note un enquêteur.
1500 Roms errent dans des campements sauvages
L’usage des armes – des vraies ou des copies parfaitement imitées – s’impose, pour qui veut faire sa place dans ce chaudron. Et même, plus largement, comme un véritable must dans les cités. « Maintenant, on prend des kalachnikovs pour braquer des épiceries », constate, inquiet, le procureur Jacques Dallest. Pistolet ou fusil d’assaut en main, les minots ne craignent plus rien ni personne. Quatre gamins de 14 et 15 ans de la cité des Cèdres viennent ainsi de se retrouver devant la cour d’assises après avoir dérobé la moto d’un de leurs voisins, et sa sacoche, avec des revolvers factices. Pas étonnant non plus que les vols à main armée aient explosé: 47,22% d’augmentation sur l’année…
« Penser que le renforcement de la police est la solution est une erreur », avertit pourtant le sociologue Laurent Mucchielli, qui vient d’installer, à Aix-en-Provence, un Observatoire régional de la violence. Pour lui, les difficultés de la ville proviennent, d’abord, de son appauvrissement. Dans certaines cités, le taux de chômage chez les jeunes dépasse les 50%…
Cette dégradation des conditions d’existence peut conduire les Marseillais à chercher des boucs émissaires – le plus souvent les Roms – pour expliquer les maux dont la ville se sent accablée. « C’est actuellement un véritable danger », prévient Cendrine Labaume, responsable locale de la mission de Médecins du monde (MDM). Devant le dispensaire de la rue Rostand, dans le IIIe arrondissement, jeunes désargentés, immigrés en situation irrégulière, Comoriens et manouches font la queue patiemment. Ils attendent pour bénéficier de soins que les hôpitaux de la ville n’accordent qu’avec parcimonie à ceux qui ne présentent aucune couverture sociale. MDM en reçoit 6000 par an… Parmi eux, les Roms paraissent les plus fragiles.
Pourchassés par la police, les 1500 hommes, femmes et enfants recensés dans la ville errent entre des campements sauvages, comme celui de la porte d’Aix, et des bidonvilles. « Il n’est pas rare que des habitants nous insultent et nous prennent à partie quand nous les soignons sur le terrain », constate Cendrine Labaume. La responsable de MDM a comptabilisé récemment une dizaine d’agressions violentes contre des familles roms à coups de cocktails Molotov et de barres de fer. Des opérations commandos souvent menées par des Maghrébins…
L’image d’un Marseille melting-pot, métissé et bon enfant est bien mise à mal. Même l’OM ne fait plus rêver, propulsée en queue de championnat. Gagnerait-elle, d’ailleurs, que l’équipe ne sauverait pas, à elle seule, la ville de ses démons. A Palerme aussi, on aime le ballon rond…
Source : L’Express.